Natalie, Paola, Chantal, Séverine, Stéphanie et Khadija sont au contact constant de la population genevoise sur le terrain des études de l’Unité d’épidémiologie populationnelle. Les six infirmières de l’UEP jonglent avec les lieux de prélèvements, les horaires, les questionnaires et les sérologies. Six parcours complémentaires que trois mots d’ordre rassemblent: mobilité, souplesse et adaptabilité. Elles racontent les spécificités de leurs fonctions d’infirmière de recherche depuis le début de la pandémie.
« Elle nous a fait voir du pays, cette histoire ! » Cela fait pourtant depuis 2011 que Natalie, spécialisée en soins d'urgences aux HUG, sillonne Genève au sein du Bus Santé de l’Unité d’épidémiologie populationnelle. Mais dès le début de la crise de COVID-19, il a fallu faire preuve d’inventivité. Comme partout dans l’hôpital, elle et ses collègues Chantal et Paola ont dû se réadapter à des protocoles logistiques qui changeaient tous les quarts d’heure. « On est passé du jour au lendemain d’une équipe de 10-12 à 80 collaboratrices et collaborateurs pour gérer les études de séroprévalence du COVID dans la population genevoise » se souvient Chantal, auparavant infirmière de recherche en néphrologie à l’hôpital. Elle rejoint le trio dès février 2020, en plein ouragan pandémique. Depuis, les études menées par l’Unité d’épidémiologie populationnelle se sont multipliées. Natalie raconte qu’entre les quelques mois qui séparaient la première étude de séroprévalence et celle auprès des travailleurs non-confinés, elles avaient déjà réalisé autour de 20'000 tests sérologiques.
Tout inventer
Enjouées, les trois infirmières de l’équipe s’accordent sur le défi stimulant qu’a représenté le fait de développer des unités mobiles. « Nous avons été réquisitionnées en premier lieu pour réaliser les test PCR du personnel au moment du premier pic de l’épidémie, alors que mûrissaient tout aussi urgemment les protocoles établis par nos collègues de l’unité scientifique, cheffes de projets, chercheurs, coordinatrices, analystes de données ou administrateurs». Sur place, elles devaient s’organiser, trouver des solutions. Paola, 27 ans d’expérience aux HUG, le décrit ainsi: « Quand on se retrouve décentrées comme cela, il faut penser toute la logistique de A à Z, des visières et blouses à la désinfection jusqu’à imaginer les flux de personnes entre les box de prélèvement du sang, dans des espaces non-pensés pour une pandémie. » Rétrospectivement, il ressort surtout un engouement pour la rencontre avec une grande diversité de population. « On voyait vraiment tout le monde, plus encore que nos habitudes dans le bus ! ». Leur expertise tout-terrain s’affirme dans ce quotidien inédit. On perçoit l’enthousiasme commun pour cette approche moins connue du rôle infirmier. « Dans cette aventure très mobile, on avait vraiment l’impression d’être utiles, de participer à un effort collectif en contribuant à notre échelle à peut-être améliorer les politiques publiques locales sur le plus long terme » souligne Chantal.
Une équipe complémentaire
Composée de trois soignantes au début de la crise, l’équipe a doublé d’un été à l’autre. Séverine, venue de l’hospitalier, renforce le pôle dès juillet 2020 sur les premières études. A l’automne, la benjamine du pôle soignant, Stéphanie, est recrutée après sa première année d’exercice dans une unité de psychiatrie jeunes adultes. Elle rejoint l’effort que représente pour les équipes les courriers et téléphones avec les populations participantes, en apportant une sensibilité infirmière à leur recrutement. C’est qu’au fil des vagues et des variants, le suivi sérologique des participants est parti pour durer. Sans compter que d’autres études voient peu à peu le jour, dont Schools, puis KIDS un an plus tard. Les études sur les plus petits font partie intégrante des recherches de l’unité. C’est d’ailleurs pour son expérience en pédiatrie que Khadija intègre l’équipe à l’été 2021. « Un enfant, c’est émotionnellement très intelligent. Il te fait confiance tout de suite ou il ne te fait jamais confiance. Mais ça ne se passe pas forcément verbalement. Il faut garder la même attention de respect qu’en clinique. D’autant qu’actuellement, pour l’étude KIDS, on travaille sur un volet auprès d’enfants qui présentent des vulnérabilités cliniques. Même si leur famille accepte volontiers de participer, je garde toujours en tête la notion du consentement, en me demandant si la prise de sang sera possible ou non après avoir observé des signes de retrait ou de crainte éventuellement trop importants émanant du comportement de l’enfant.»
« Une infirmière, ça ne fait pas que piquer les gens »
Si les gestes restent les mêmes, être infirmière de recherche implique une autre vision du soin. « C’est différent au niveau relationnel, ça fait appel à une autre intuition. Car les personnes avec qui on est en lien sont volontaires, a priori en bonne santé ; on ne rentre pas dans la chambre d’un patient souffrant moralement ou physiquement » souligne Séverine. Toutes le confirment. « Disons qu’ici même si c’est mouvementé par moments, tu n’as pas du tout la même approche de travail. Il n’y a pas la même charge émotionnelle qu’avec des patients » évoque Khadija. Paola insiste sur le fait qu’ensemble, elles représentent un savoir-faire, une expertise du terrain, au-delà du geste : « On est un peu le pont entre le terrain et les équipes d’analyses des données biologiques et informatives que l’on récolte au contact des participants. » Dans les divers espaces de prélèvement, ce sont elles, entre autres, qui explicitent l’objectif des études. Pour cela, Natalie apprécie de pouvoir prendre le temps : « Malgré le rythme, on prend la liberté de discuter avec les gens ». « C’est aussi un temps propice à l’échange. Ce n’est pas pour rien que le projet s’appelle Specchio. Les participants sont le miroir de ce qui se passe à l’échelle de la ville. Cela donne aux gens la sensation qu’ils participent à quelque chose de plus grand. Et nous, on se place aussi dans une dimension plus macro de la santé sur le canton, une approche populationnelle », ajoute Paola.
Un bouleversement des pratiques
L’expérience de la pandémie a tout accéléré, notamment la digitalisation des pratiques de recherche et de suivi en épidémiologie. « Nous devons nous adapter à des outils plus performants pour suivre des échantillons de population. Sur le moment, on utilisait aussi, par exemple, des tablettes ou des casques de réalité virtuelle pour rassurer les plus petits. On assiste à un vrai bouleversement des pratiques » constatent aussi bien Paola que Chantal. Plus loin, travailler dans un univers scientifique semble singulier. « Un de mes collègues me surnommait le couteau suisse ! » s’amuse Stéphanie, soulignant la grande force que représente la pluridisciplinarité des équipes de l’UEP. « Je trouve particulièrement riche le dynamisme, la transversalité et la créativité qu’impliquent mon travail. Ici, on est beaucoup dans la co-construction. » Cette capacité d’adaptation et l’expérience acquise durant la crise seront de mise pour l’une des grandes évolutions à venir d’ici la fin 2022 : la reprise et la digitalisation du Bus santé, étude phare sur les facteurs de risques des maladies chroniques menée depuis 1993 par l’Unité d’épidémiologie, avant que le COVID ne prenne le devant de la scène…