Le Dr. Remy Barbe est médecin pédopsychiatre, responsable de l’Unité d’hospitalisation du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des Hôpitaux universitaires de Genève. Il est aussi co-investigateur de SEROCoV-KIDS, étude qui évalue l'impact du COVID-19 sur la santé des enfants, adolescentes et adolescents du canton de Genève. Nous lui avons posé quelques questions pour mieux comprendre l'influence de la pandémie sur la santé mentale des jeunes.
- Dr Remy Barbe, bonjour. Est-ce que la pandémie de COVID-19 a donné lieu à une hausse des demandes d’aide psychologique de la part des plus jeunes ?
A Genève, il y a d’abord eu une baisse du nombre de consultations pédopsychiatriques pendant le premier confinement, ce qui se vérifie dans d’autres études hors de Suisse. Puis à partir de la rentrée d’automne 2020, nos services ont connu une hausse de 30 à 40% de consultations, avec un pic au printemps 2021. Nous avons reçu beaucoup de jeunes patientes et patients aux urgences. Nos collègues étaient probablement déjà débordés en ville avant que ce ne soit le cas à l’hôpital. Dans un paysage global où les ressources manquent toujours en terme de santé mentale -même si Genève reste un territoire plutôt bien loti dans ce domaine- nous n’étions pas organisés pour faire face à autant de détresse psychologique, en ambulatoire tout comme aux urgences.
- Comment s’exprimaient leurs souffrances ?
Les demandes des jeunes s’exprimaient beaucoup au travers de troubles anxieux, de troubles alimentaire et bien souvent de préoccupations liées à l’avenir pour les plus âgés d’entre eux. Les comportements dépressifs et la suicidalité ont augmenté également d’environ 30 à 40%, ce qui est beaucoup. Avec d’autres collègues pédopsychiatres, nous avons également observé des retards de langage chez les plus petits. Il est intéressant de voir que pour ces enfants, en pleine phase de développement, les changements de modes d’interactions avec leur environnement social ont eu un impact concret sur la fonction du langage.
- Selon vous, quels facteurs ont pu toucher les jeunes plus spécifiquement durant la crise sanitaire ?
Comme les adultes, ils ont connu un changement radical dans l’organisation de leur mode de vie dont une grande coupure avec les moyens habituels de socialisation. Or, on sait comme le lien avec les amis et les pairs est crucial à ces âges pour la construction de soi, de son identité, de ses repères. La perte des activités de loisirs et le fait de se retrouver à la maison dans des espaces pas forcément adaptés pour une telle situation ont pu créer de très fortes tensions, à la faveur des conflits. On a parlé de situations de violences familiales ou conjugales. Il y a aussi eu une nette augmentation des divorces. Les jeunes sont très sensibles à leur environnement, à ce qu’ils perçoivent des adultes autour d’eux. Alors le cumul de ces facteurs a pu favoriser l’émergence de troubles, surtout chez des jeunes patients déjà vulnérables, plus anxieux ou plus sensibles aux changements.
- Est-ce qu’à l’inverse, le contexte de réouverture peut-être anxiogène en terme de réadaptation ?
Il est vrai que certains jeunes étaient ravis d’être à la maison. Le contexte a pu favoriser en effet une tendance au repli. A présent, certains sont dans les starting-blocks et n’attendent que cette reprise de vie « normale ». Mais pour d’autres, il peut exister de réelles difficultés, des peurs de retourner vers un nouveau rythme et des activités. Dans ces cas-là, il peut y avoir de l’ambivalence et s’extraire d’un « confort » relatif va nécessiter un certain soutien pour retourner sereinement vers l’extérieur et envisager l’avenir. C’est un enjeu important, dont peut difficilement mesurer l'ampleur pour l’instant. La crise a aussi eu un impact sur la question de l’école et des apprentissages ainsi que sur la surconsommation des écrans. Je dis ceci sans toutefois les diaboliser. L’utilisation des écrans était aussi une opportunité de maintien du lien pour rencontrer les autres. Dans certaines situations, il peut y avoir l’apparition d’une addiction qu’il va falloir sevrer.
- En tant que thérapeute, quelles recommandations apportez-vous aux ados et leurs familles, qui font face à des difficultés ?
Durant la pandémie, on a remarqué que le fait de s’impliquer, de soutenir un investissement vis-à-vis des autres était un facteur de résilience important. Cela est particulièrement vrai lors d’une expérience commune à grande échelle. De façon générale, je pense qu’il faut rester attentif et vigilant par rapport aux préoccupations des plus jeunes, les inciter à rester orientés vers les autres et vers l’avenir. Mais aussi leur faire confiance. On a tendance à focaliser beaucoup sur les adolescents et les enfants, mais ils sont en fait des miroirs de ce qu’il se passe autour d’eux. Leurs souffrances sont aussi le reflet de la souffrance environnante. La façon dont les adultes se positionnent est donc essentielle, car malgré les apparences, les jeunes sont tournés vers le monde adulte : ils nous regardent, nous écoutent et observent comment nous nous situons par rapport aux différentes règles. Les notions importantes de « risques », de « responsabilité individuelle et collective » se sont imposées de façon plus urgente au cœur de notre vie sociale. Sur cela, il faut continuer de sensibiliser les adolescents, les enfants tout comme les adultes d’ailleurs. Car dans une situation aussi exceptionnelle, la partie adolescente de chacun peut être mobilisée…
- Avez-vous l’impression que cette crise inédite va marquer les plus jeunes à long terme ?
Lorsque l’on traverse des évènements qui concernent l’ensemble de la société, cela a un impact majeur sur les valeurs d’une génération. Ces phénomènes générationnels ont des effets. Par exemple avant et après le 11 septembre 2001, notre relation au monde a changé. Avec la pandémie, quelque chose aura marqué, touché cette génération de façon spécifique et déterminante. L’un des enjeux majeurs pour la génération qui aura grandi durant la pandémie- pour nous tous bien sûr, mais surement plus encore pour celles et ceux qui étaient en pleine constitution de leur rapport au monde- c’est la question de l’éloignement les uns des autres, la modification de nos pratiques en société, qui ont parfois pu entrainer des mécanismes de méfiance vis-à-vis d’autrui. Il va falloir les accompagner dans cette crise de confiance, qui s’exprime aussi face à l’autorité.
- Vous voulez dire, par rapport à l’autorité publique ?
Nous avons vécu une période de tension aigüe dans laquelle les prises de décisions et de mesures étaient constantes. Elles ont entrainé de l’adhésion ou au contraire de la défiance au sein de la population. Le lien avec l’autorité a été questionné, parfois disqualifié, laissant planer un doute sur l’aspect véritablement protecteur de cette autorité. Ou alors un doute vis-à-vis de « qui décide ? qui fait autorité ? » Cette remise en question de l’autorité n’est pas nouvelle. D’ailleurs, elle est un enjeu particulièrement central à l’adolescence. Mais quand les plus jeunes sont témoins de cette crise de l’autorité de la part des adultes eux-mêmes vis-à-vis des décisions politiques, par exemple (positions par rapport aux vaccins, aux mesures sanitaires etc.) cela n’est pas anodin. C’est pour cela que j’insiste sur l’importance du fait qu’ils nous regardent. Donc par rapport au positionnement face à l’autorité, cela aura très certainement un impact sur leurs représentations, à la fois à l’intérieur de la famille mais aussi de la société.
- Pensez-vous que la question de la santé mentale a été suffisamment discutée durant la pandémie ?
Initialement il y a eu des effets de sidération et les institutions ont dû prioriser la lutte contre le COVID-19. C’est tout à fait normal. Mais l’intérêt pour la santé psychologique des individus est venu très tardivement. Même au sein de la Task Force, au départ, il n’y avait pas de psy. J’espère qu’il y aura une réflexion sur ces priorités à l’avenir. D’un côté on ne s’est d’abord pas trop préoccupé de santé mentale, puis par la suite, le discours médiatique vis-à-vis de la santé des plus jeunes a eu tendance à focaliser sur eux sur un registre alarmiste. Parfois, je suis donc préoccupé par la caisse de résonnance que cela peut induire de sous-entendre que les jeunes vont particulièrement mal. Il faut faire très attention à comment on les dépeint, surtout lorsque l’on parle de suicidalité. Il faut rester prudents pour ne pas créer d’effet de généralisation ni d’ effet Werther, c’est-à-dire de provoquer un effet d’incitation, appelée « contagion » par les experts. Il me semble aujourd’hui essentiel de rester attentif non seulement à comment l'on s’adresse à eux mais aussi à comment l’on parle d’eux.
Quelques ressources en santé mentale pour les jeunes à Genève :
La Main Tendue - composer le 143, gratuit et anonyme, 7j/7 24h/24 ou demander une aide par mail
Pro Juventute Suisse - Service d'écoute pour les jeunes, au 147, 24h sur 24
MALATAVIE- Unité de crise pour ados, HUG- ligne ados, au 022 372 42 42, 24 heures/24, 7 jours/7
SOS-enfants - Aide psychologique, professionnelle, confidentielle et gratuite pour les enfants, les ados et les parents au 022 312 11 12
Point Jeunes - Permanence du Centre d'information et de prévention de Point jeunes destinée aux 17-25 ans, du lundi au vendredi, de 13h à 17h (sans rendez-vous) au 022 420 59 59
ciao.ch - Pour les 11-20 ans, répond uniquement en ligne (en toute confidentialité), propose un forum d'échanges et met à disposition des numéros de téléphone